Le bitume de la Rue des Deux-Marchés est encore humide de la pluie intense tombée durant la nuit. Après quelques pas sur l’asphalte aux reflets noirs et gris, Jean-Mi se décide enfin à pousser la porte du coffee shop au numéro 24, inauguré quelques semaines plus tôt. L’accueil y est froid même si l’atmosphère y semble plutôt chaleureuse. Quand bien même, toutes les places sont prises… il le boira dehors son café, à l’une des tables en métal brut disposée à la va vite sur les pavés usés des Deux-Marchés.
Heureusement, le fond de l’air est plutôt agréable et le café à ce goût doux-amer dans un équilibre bien choisi. C’est de bon augure pour la journée qui attend le commissaire Jean-Michel Rapteur. En regardant dans le contre-bas de la rue, il observe la file qui patiente devant la boulangerie du quartier, projetant d’un coup son esprit dans les artères bouillantes de la Chaux-de-Fonds, là où on l’attend dans à peine deux heures déjà. Il sent immédiatement l’adrénaline monter en son sang. Avec ses collègues de la brigade antigang, Commissaire Rapteur sait que ce dimanche 13 mars sera sa dernière occasion de mettre la main sur deux bandes suisses allemandes talentueuses et terriblement ravageuses. De nombreux collègues ont tenté de les « serrer » durant l’hiver, mais presque tous ont échoué. Lui le premier quelques mois plus tôt.
Alors que St-Martin se met à raisonner pour la troisième fois des 10 heures, Jean-Mi récupère frénétiquement ses clés sur la table métallique et s’empresse de prendre la direction de son automobile, il ne faudrait pas être en retard face au défi qui l’attend. Au sortir du garage, la Fiesta vrombit et s’en va d’une vive allure en direction des contrée neuchâteloises. La voiture présidentielle par excellence, comme ses amis ont tendance à railler, même si lui ne comprend pas la raison de cette boutade insensée.
La cité du Corbusier a un air à peine brumeux quand les roues du bolide américain débarquent devant le pavillon des sports. Le Commissaire Rapteur profite de son avance pour faire un premier repérage en douceur. Il rencontre ensuite les équipes d’intervention prêtes à en découdre, cela étant bon signe à ses yeux. Pendant que les troupes s’échauffent, révisent leurs armes et leurs schémas, le « commissaire Rivera », comme il aime qu’on l’appelle quand il se déplace dans les bourgades helvétiques, affûte encore rapidement ses consignes et la stratégie qui sera mise en œuvre quelques instants plus tard. Dans le contexte, c’est le gang des Könizer, les banlieusards de la capitale comme on les connaît dans le milieu, qui ont annoncé vouloir dérober toutes les breloques du joaillier du coin dont une coupe aux grandes oreilles dorée.
L’intervention démarre fort et les gendarmes de la brigade « Rivera » se défendent bien mieux que lors de la dernière tentative d’interpellation. Après un affrontement au poing, la bonne préparation, cette fois-ci, des hommes du commissaire feront fuir les « Rouges » ! Le gang des Könizer repartira sans avoir pu récupérer de breloques du joaillier, un début de victoire pour les forces de l’ordre. Jean-Mi garde malgré tout un arrière-goût mi-figue, mi-raisin de n’avoir pas réussi à réaliser une ou deux interpellations. « Ni gagné, ni perdu, vu le talent de ces jeunes brigands bernois, on peut être plus que contents de leur avoir tenu tête ainsi » s’exclame-t-il avec un petit air, somme toute satisfait.
Au fond de lui, Jean-Mi Rapteur est très fier d’avoir réussi à contre carrer les plans des banlieusards de la capitale, ce que quasi aucune autre brigade n’avait réussi à faire auparavant. Et devant son verre de plastique rempli de Rivella (rouge, lui aussi), il savoure tout en s’inquiétant de l’état physique et mental de ses hommes pour la seconde intervention du jour. Car les combats de terrain seront bien plus âpres et rugueux face au gang des Ailes Blanches, ou des paysans bernois, selon l’appellation non officielle, qui eux aussi convoitent les bijoux Chaux-de-Fonniers.
Rapteur se rend vite compte que son sentiment est bon. Son effectif est fort émoussé par l’énergie laissée dans la lutte face aux Könizers, deux trois chevilles en miettes et quatre ou cinq muscles pincés. Heureusement, ses troupes, ce sont celle de « Rivera » comme le dit toujours le général du canton de Vaud. Autrement dit, des durs qui se battent jusqu’à la mort. Le début de l’intervention des Paysans bernois se passe sur un rythme moins fort et les uppercuts à l’alémanique font mal aux troupes du commissaire. Le gang des Ailes Blanches est déterminé à s’emparer des breloques du joaillier en leur totalité, en voyant que les « Rouges » n’y étaient pas arrivé juste avant. La brigade « Rivera » ne fait pas suffisamment le poids, avec un effectif juste un peu court et une énergie déjà trop entamée des heurts du début d’après-midi.
La bataille fait rage, mais l’issue reste fatale ! Les « Blancs » laisse un champ de bataille derrière eux en s’emparant de tous les bidules pimpants du stock du bijoutier. Enfin, pas tout finalement… La police locale identifiera alors le véritable voleur de la fameuse coupe du Corbusier, celle aux grandes oreilles dorées. Dans le fond de la brume neuchâteloise, on verra un gang habillé tout de rouge la soulever bien haut. « Les Könizers ont encore gagné, quelle histoire !» se dira alors le commissaire, à la fois dépité mais surtout admiratif ! Dans sa Ford, il appuie sur l’accélérateur, fatigué du travail du jour, et somme toute réjouit que ses troupes aient su faire plus que d’habitude sur le terrain d’intervention. Il sait que les occasions du jour étaient les dernières avec ce bataillon, et Jean-Mi Rapteur se prépare déjà à ce que son directeur régional lui colle une nouvelle formation à entraîner pour contrer les gangs helvètes dans les futurs mois…